Both sides now – En attendant la saison finale de Mad Men

« Everyone loves the Horatio Alger version of life. What they don’t realize is that these transformations begin in shame, because poverty feels shameful (…) Don Draper knows he’s poor, very much in the model of Iacocca or Walton, who came out of the Great Depression, out of really humble beginnings. Or like Conrad Hilton, on the show. These men don’t take no for an answer, they build these big businesses, these empires, but really it’s all based on failure, insecurity, and an identity modeled on some abstract ideal of white power. I’ve always said this is a show about becoming white. That’s the definition of success in America – becoming a WASP.  A WASP male. »
Matthew Weiner in The Paris Review – Spring 2014

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Le dernier épisode de la Saison 6 de la série Mad Men, « In care of », s’est achevé sur l’image de Don Draper, accompagné de ses trois enfants, s’arrêtant devant la maison où il a grandi, au son des premières notes de Both sides now de Joni Mitchell (interprétée ici par Judy Collins). Après une saison particulièrement sombre, ces dernières minutes ouvrent in extremis la narration en suggérant une nouvelle piste/fenêtre dans le cheminement intérieur du personnage et peut-être même (mais c’est Mad Men et c’est Don Draper), une possibilité de rédemption.

La chanson de Joni Mitchell, écrite l’année où la saison est censée se dérouler, en 1969, donne une force particulière à cette scène finale, car elle replace le personnage principal de la série de Matthew Weiner dans un temps affectif. Chanson sur l’âge d’homme, ses désillusions et ses redditions, l’universalité et la résonance individuelle de  Both sides now donnent à un Don Draper revenu de tout, intimidant dans le succès comme dans la chute, l’incarnation qui lui a souvent fait défaut.

L'album "Clouds" de Joni Mitchell dans lequel figure "Both sides now", paru en 1969

L’album « Clouds » de Joni Mitchell dans lequel figure « Both sides now », paru en 1969

Sans cesse tiraillé entre le cliché (le héros ténébreux, beau et puissant) et l’humanité la plus trouble, Don Draper, dans cette avant-dernière saison, accentue jusqu’à l’usure son côté insaisissable et hermétique. Alors qu’il est de nouveau en proie à une violente crise intérieure, il traverse la série avec une rigidité de plus en plus spectrale, son apparence à peine altérée par les excès, toujours lisse et impeccable (il est lui-même une publicité sur papier glacé) devenant un masque irréel et figé à la Dorian Gray. Faisant écho aux démons qui l’assaillent et le rongent, l’atmosphère générale glisse lentement vers le fantastique, la frontière entre la réalité et le rêve/cauchemar s’effaçant parfois dangereusement (par exemple au moment de l’irruption glaçante de « Grand-mère Ida » dans l’épisode 8, « The crash »).

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« But now old friends are acting strange
They shake their heads, they say I’ve changed »
Joni Mitchell, Both sides now

Autour de Don Draper, le petit monde de Mad Men vacille, subissant plus ou moins directement, par un effet de mimétisme, les répliques du séisme intérieur du personnage central. Mais devant le dérapage de trop, son entourage, longtemps loyal et indulgent (et souvent complaisant), finit, dans un retour brutal à la réalité, par se détourner.

De plus en plus hagard, éreinté par l’alcool, Don Draper termine la saison dans un état d’hallucination quasi constant, au milieu d’un champ de ruines à ciel ouvert, seul et étranger dans la vie qu’il s’est fabriqué de toutes pièces. Jusqu’à ces dernières minutes, devant l’ancien bordel à moitié délabré, où l’on se dit que peut-être, tout n’est pas perdu. La légèreté de l’interprétation de Judy Collins contrastant avec la tonalité générale désespérée de la saison, donne à posteriori un caractère transitoire et relatif à l’ensemble, la traversée de l’enfer n’ayant eu pour motif (et destination) que cet instant-clé, le moment de vérité avant le baisser de rideau final.

 

La 7ème et dernière saison de Mad Men sera diffusée à partir le 13 avril 2014 sur AMC.

Les paroles de « Both sides now » sont disponibles sur le site officiel de Joni Mitchell : http://jonimitchell.com/

A lire l’interview de Matthew Weiner dans The Paris review, n° 208,  spring 2014