Jane Fonda dans Klute d’Alan J. Pakula (1971)

Klute

Oscar de la meilleure actrice pour son rôle dans Klute, Jane Fonda, aux côtés de Donald Sutherland, incarne à la perfection ce personnage de call-girl aux abois, à court d’argent et traquée par un tueur.

Jeune femme seule dans la ville, Bree Daniels est constamment menacée de disparition. Filmée dans la rue, anonyme parmi la foule, dans la semi-obscurité ou à travers le prisme déformé et oblique du regard d’un voyeur/tueur, elle semble n’exister que dans les interstices d’une cité qu’elle traverse comme un fantôme.

Klute 2

Le jeu nerveux de Jane Fonda rend palpable le trouble d’un personnage sans cesse dans la survie, en quête d’une place/d’un rôle qu’on lui refuse (elle court les castings, en vain) ou d’une paix impossible (à sa détresse, son psy oppose un flegme académique et abstrait). Et pendant ce temps, la mort rôde et attend son heure, silencieuse à l’autre bout du fil, tapie dans l’ombre la nuit, dans les parages de la morgue au-dessus de laquelle vit le personnage et enfin, dans les ravages de la drogue.

Figure de la solitude moderne, Bree Daniels est une « sans voix » dont la disparition passerait totalement inaperçue. Et pourtant, face à une impitoyable mécanique urbaine qui broie les personnes – le tueur et la ville mortifère ne font qu’un, unis par un même dessein –, Bree Daniels/Jane Fonda refuse de se cantonner au silence. Proie facile, se sachant méprisée et vulnérable, Bree Daniels use et abuse de la seule protection qu’elle possède, la bravade.

Au lieu de se briser et de s’éteindre, sa voix résonne d’un bout à l’autre du film, sûre d’elle et insolente. Comme dans une partition musicale, son discours commercial vantant sa liberté sexuelle et son talent de professionnelle est un thème initial répété à l’envi, attisant jusqu’à la folie destructrice une tension sexuelle inassouvie, le sexe étant quasiment invisible dans un film somme toutes très pudique.

A mesure que la mort tisse sa toile autour de sa proie, une dissociation s’opère entre le personnage et sa propre voix (enregistrée à son insu), celle-ci devenant une enveloppe creuse sur laquelle se cristallisent les fantasmes et les interrogations, puis enfin un leurre lui permettant de s’échapper des mailles du filet et de vivre une autre vie. D’exister en dehors du regard prédateur.

Jane Fonda, sans doute un peu malgré elle, donne à ce personnage a priori banal et stéréotypé une allure d’icône. Klute fascine parce que malgré le pacte fictionnel, le spectateur ne peut ignorer la notoriété de l’actrice ni sa prestigieuse filiation dans l’histoire du cinéma. Il s’opère immanquablement une confusion entre le personnage et son interprète, chacun à sa manière pris au piège de sa propre fiction.

Les enjeux se télescopent entre celui d’un personnage d’actrice ayant tout le mal du monde à trouver un rôle et une place au soleil et celui d’une actrice réelle, belle et bien née, sans doute à la recherche d’une légitimité dans le métier. Devant la psy, c’est tour à tour Bree Daniels, call girl traquée et Jane Fonda, actrice engagée, qui prennent la parole (certaines répliques des moments d’analyse auraient été improvisées par Jane Fonda elle-même), le discours sur la difficulté de vivre et d’aimer n’en étant ainsi que plus juste et plus réel.