The last days of disco de Whit Stillman (1998)

The Last Days of Disco

Se déroulant à New York au début des années 80, The last days of disco revisite le thème des « débuts dans le monde » en le replaçant dans un contexte de fin de règne – avec ce que cela suppose de corruption, de décadence et d’inversion de valeurs –, celui des clubs mythiques des années disco.

Reposant sur la collision de deux temps antagonistes, l’ascension d’une jeunesse wasp aisée et ambitieuse et le déclin d’un genre musical, le film de Whit Stillman décrit avec une grâce mélancolique la manière dont les deux univers, sans jamais se confondre et fusionner, finissent par se corrompre l’un l’autre.

Le « Club » n’est clairement plus le sanctuaire extravagant et festif des années 70 où trouvent refuge toutes les excentricités. Malgré les efforts des propriétaires d’en filtrer l’entrée, il est inexorablement envahi par des éléments indésirables, les « yuppies », éduqués et propres sur eux et à leur suite, les infiltrés du bureau du procureur qui vont oeuvrer à sa fermeture définitive. En situation de siège permanent, le club subit les assauts par tous les côtés : les exclus de l’entrée principale reviennent à la charge, usant de ruses, portant des déguisements, passant par la porte de derrière, accélérant sa ruine.

The Last Days of Disco

A l’épreuve de la nuit, l’âge des possibles manque de repères et de souffle. Pourtant brillants et caustiques, les personnages se ratent, se méprennent les uns sur les autres, se fourvoient. A mesure que le récit avance, chacun va perdre un peu de sa superbe, un peu de son âme. Faute de certitudes, on se forge une morale un peu douteuse, une parade pour la survie. Se profilent, en filigrane, les années Reagan avec l’émergence de nouvelles figures dominantes : ce sont les plus habiles au double discours, aux mensonges et à la trahison qui se sortent sans trop d’égratignures de ce moment d’initiation – probablement les mêmes qui triompheront plus tard.

Alice

Parmi la bande de jeunes diplômés de l’Ivy league qui se croisent dans le récit, c’est le personnage d’Alice (interprété par Chloë Sevigny, toute en retenue) qui symbolise cette lutte interne naissante : en affectant, sur les conseils retors de son amie Charlotte, une attitude sexy conforme à sa nouvelle condition de jeune urbaine branchée, elle paye chèrement sa « corruption ». Rejetée par l’homme qui lui plaît en raison de sa (prétendue) liberté de mœurs, elle contracte de surcroît lors d’un premier rapport un herpès et une MST. Elle est le personnage « vrai » dont la franchise irrite et qui, tout en suscitant le désir des hommes qui l’entourent, n’a pas les codes du nouveau monde qui se dessine. La collision est ici brutale et laisse présager, malgré l’atmosphère ténue du film, des ravages d’une maladie autrement plus grave et dont les personnages n’ont pas encore conscience, le Sida.

The Last Days of Disco

Charlotte

C’est Charlotte (Kate Beckinsale), reine du dialogue avec ses incessantes remarques aussi péremptoires que fumeuses qui théorise, en quelque sorte, l’esprit des années à venir : énonçant des règles qu’elle est la première à transgresser, c’est elle qui mène la danse, y compris lorsqu’elle est (momentanément) en situation de défaite. Ayant des idées sur tout et sur la manière dont les autres doivent vivre leur vie, et accessoirement avec qui, Charlotte ressemble jusqu’à un certain point au personnage d’Emma dans le roman éponyme de Jane Austen (que Kate Beckinsale a également incarné à la télévision). Persuadées de leur supériorité sur leurs semblables, elles régentent leur entourage sans avoir de légitimité autre qu’une autorité de classe. Lorsqu’il devient manifeste qu’elles se sont trompées (non sans avoir causé des dégâts plus ou moins importants), elles ne l’admettent qu’à moitié, du bout des lèvres. Aucune n’abdique complètement. L’une et l’autre, du reste, retrouvent très vite contenance dans le jeu sentimental (puisqu’il ne s’agit que de cela, en somme) : à l’instar d’Emma qui s’aperçoit au moment opportun qu’elle est amoureuse de l’homme que sa jeune protégée, Harriet, a eu l’impudence de croire à sa portée, Charlotte, après un séjour à l’hôpital pour une maladie somme toute assez « austenienne », trouve son alter ego masculin en la personne de Des (Chris Eigeman), aussi vain et égocentrique d’elle, nul doute, les futurs roi et reine de la nouvelle ère qui commence.